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Face au dopage, le football reste seringue

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Le procès de l'opération Puerto met en scène une justice espagnole encline à circonscrire l'affaire au cyclisme, et son enseignement majeur est – pour l'instant – qu'aucun nom de footballeur n'y a été prononcé, notamment par le Dr Eufemiano Fuentes, principal prévenu qui avait déclaré attendre que la juge lui en demande. "Avant 2006, je travaillais avec tous types de sportifs. Cela pouvait être des footballeurs, des athlètes, des joueurs de tennis, des boxeurs". Avec ces propos tenu au premier jour d'audience, Fuentes a cependant confirmé ce qu'il avait confié en 2006 au Monde, à savoir qu'il avait "travaillé avec plusieurs clubs de première et deuxième division espagnoles (...) parfois directement avec les footballeurs eux-mêmes, parfois en partageant [ses] connaissances avec les médecins des équipes" (lire l'article de Stéphane Mandard) [1].

ÉTAT DE MANQUE

Parmi les documents saisis lors de l'instruction figure un répertoire des clients du Dr Fuentes comportant, entre bien d'autres, le nom de code RSOC. En marge de l'affaire, l'ancien président de la Real Sociedad Iñaki Badiola a désigné le fameux médecin comme le pourvoyeur probable du club basque, en révélant l'existence – établie par un audit après sa prise de fonctions en 2008 – d'une caisse noire destinée à financer l'achat de produits interdits, sous la direction des deux médecins du club. Le système disposait alors d'un budget annuel de 342.000 euros et a fonctionné, selon Iñaki Badiola, entre 2001 et 2008 (lire "Dopage : pour son ex-président, la Real Sociedad collaborait avec Fuentes").

La semaine dernière, l'ex-international anglais Danny Mills a décrit dans les colonnes du Telegraph le flirt incessant des joueurs de haut niveau, "prêts à tout pour prendre un avantage sur leurs coéquipiers", avec des méthodes médicales suspectes. Il raconte notamment le traitement intensif à base de pilules que lui et les autres sélectionnés avaient suivi avant la Coupe du monde 2002, lui permettant de se sentir dans la forme de vie. Quelques jours après la compétition, il subissait une grave dépression, aggravée de symptômes physiologiques alarmants. Mills évoque aussi les centaines d'injections, le recours systématique aux anti-inflammatoires pour neutraliser la douleur sans soigner la blessure, la prise de créatine, de somnifères, les injections de plasma sanguin, les collègues qui allaient toujours en Allemagne ou en Espagne pour se faire soigner.

AUCUNE CHANCE D'ÊTRE POSITIF

Ce ne sont là que des exemples issus de l'actualité. Luke John rappelle dans cet article (en anglais) les faits avérés et les lourdes présomptions dont l'histoire récente du football a été émaillée. Le mythe de l'improbabilité d'un dopage organisé au sein des clubs aurait déjà dû voler en éclat, et un scandale majeur pourrait en avoir raison un jour. Mais on se rappelle que l'accablant procès de la Juventus n'avait rien changé. Tout récemment, le placide Sepp Blatter évoquait une infime minorité de contrôles positifs, concernant majoritairement des cas de "schnouf" (lire "Platini et Blatter en flagrant déni de dopage"). Le caractère préhistorique du discours sur le dopage dans le football s'exprime dans ces deux adages: "Aucun produit ne permet réussir une passe", "Il n'y a que des écarts individuels". C'est précisément le discours des gouvernements du football, les organes censés prévenir, traquer et sanctionner les pratiques dopantes.

Ni les présomptions les plus lourdes, ni même les preuves ne sont venues à bout de leur bonne conscience. Tous les facteurs sont réunis pour qu'un dopage massif se développe dans le football, mais le risque est traité comme s'il était dérisoire. Le football est un des sports où les dispositifs antidopage sont les plus lâches, avec la quasi absence de tests sanguins, et une fréquence de contrôle ridicule – tous les trois ans en moyenne en Allemagne, selon Luke John. Comme le résume ce dernier, un footballeur qui recourt aux techniques actuelles de dopage sanguin n'a quasiment aucune chance d'être contrôlé positif.

METTRE LES MOYENS

Tout ce que le football compte de pouvoirs – sportif, économique, médiatique – consacre une partie de son énergie (en fait, essentiellement, de sa communication) à dresser un mur autour de lui. Le déni est une attitude profondément ancrée dans ce monde: déni du dopage et de la corruption [1] en particulier, de la dénaturation de ce sport en général. Lorsqu'éclatent des affaires de grande ampleur, on peut croire que l'édifice va s'écrouler ou, à tout le moins, vaciller. Mais le flot de l'actualité emporte tout, et le spectacle continue, parce que tout le monde veut qu'il continue.

Il faut de toute évidence que l'UEFA et la FIFA soient contraintes de consacrer une fraction bien plus importante de leurs ressources à la lutte contre le dopage et la corruption – et de confier cette lutte à des organismes indépendants, tant l'intérêt supérieur du football se situe à l'extérieur du football. Elles doivent s'y engager pour ne pas condamner les fans à une déploration impuissante ou à une indifférence complice, laissant les moins dupes arbitrer entre la passion et le désenchantement. Elles doivent le faire au nom des valeurs dont elles se proclament constamment, pour préserver l'équité des compétitions, la santé des joueurs et surtout la foi des fidèles.

[1] Plusieurs cyclistes ayant témoigné dans l'affaire Puerto disent l'avoir entendu se vanter de sa collaboration avec des footballeurs. Le docteur Luis Garcia Del Moral, qui a officié au sein de l'équipe cycliste US Postal lors de cinq des victoires de Lance Armstrong au Tour de France, a pour sa part été présenté par sa société comme "conseiller médical" du Valence FC et du FC Barcelone. Le Barça avait nié toute relation contractuelle avec le médecin.
[2] Après la remise sous la lumière du "Qatargate", Europol a révélé le démantèlement d'un réseau mafieux impliqué dans 380 matches truqués en Europe et 300 autres dans le reste du monde – dont deux de Ligue des champions et trois qualificatifs pour la Coupe du monde. 425 arbitres, dirigeants de clubs et joueurs de quinze nationalités différentes y auraient pris part entre 2008 et 2011.

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